Le partenariat Europe-Afrique et les intégrations régionales

Recension rédigée par Jean-Noël Capdevielle


La diffusion des comptes rendus des colloques universitaires et scientifiques est le plus souvent réservée aux participants et aux chercheurs de la discipline. Cet ouvrage est ainsi le fruit d’un exercice difficile consistant à dépasser un cercle d’experts et de spécialistes pour faire partager à un plus large public les contributions d’une vingtaine d’auteurs. Ces connaisseurs éminents ont fait le point sur le partenariat Europe Afrique et les intégrations régionales lors d’un symposium organisé à Ouagadougou en 2010 par le Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Régionale et le centre d’Études Européennes et de l’intégration de l’université de Ouaga II.

 Qu’en est-t-il de cet aspect important des relations Nord-Sud 500 ans après les premiers comptoirs et 50 ans après la fin des pratiques colonialistes ? Les accords de partenariat économique peuvent-ils apporter un échange équilibré et constructif à l’heure de la mondialisation ? Ces questions que se pose le lecteur non initié attiré par cet ouvrage dans une vitrine trouvent réponse grâce à une présentation soignée des universitaires. Sept pages de sigles sont nécessaires au début pour décrypter et éviter les confusions malheureuses de quelques faux amis tels CEA et EDF, tandis qu’un index jurisprudentiel à la fin aide l’évaluation de la conclusion des litiges survenant dans l’application des traités.

La conférence inaugurale ruine tous les effets d’annonce politique pouvant laisser croire à une progression confortée par un partenariat scellé dans des traités prestigieux. Les premières dispositions du Traité de Rome se sont alignées avec la charte de l’ONU qui stipule un développement de prospérité encadré par des conventions et des associations.

 Dès les premières conventions, les lacunes sont criantes et E. Cerexhe relève l’absence de planification, comme de diversification de méthodes financières, des entraves aux interventions économiques et une formation des cadres inexistante. Les traités s’ensuivent après l’affirmation du Traité de Rome en 1958 d’une solidarité liant l’Europe et les Pays et Territoires d’outre-mer.

 La convention de Yaoundé signée en 1963 et révisée dès 1969 souffre des réticences des Pays Bas et de l’Allemagne à augmenter les aides financières et soutiennent un équilibre avec l’aide aux pays d’Amérique Latine. De leur côté les pays africains demandent une stabilité de l’accroissement des revenus et des cours des matières premières.

La rédaction approximative de Yaoundé est suivie par la convention de Lomé en 1973. Le partenaire CEE s’enrichit de l’arrivée du Royaume Uni, du Danemark et de l’Irlande tandis que le partenaire ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) compte désormais 46 pays signataires.

Lomé 75 intègre certains pays du Commonwealth et apporte STABEX stabilisant les exportations de produits agricoles. Lomé 79 ajoute SYSMIN système de stabilisation des recettes minières. L’objectif d’une promotion du développement industriel en vue d’un développement autonome apparaît bien tard dans Lomé 84, tandis que le respect des Droits de l’Homme et la nécessité d’une programmation s’inscrivent dans Lomé IV en 1990, trop tard !

 Les tergiversations de Lomé ont marginalisé les ACP dans le commerce mondial face à une mondialisation qui galope. Les indicateurs des années 80 à 90 suggèrent une inversion des tendances souhaitées ; la baisse du prix des matières premières à partir de 1982 après le second choc pétrolier de 1979 nuit aux exportations africaines, l’aide financière extérieure d’origine privée se tarit simultanément. Les caisses des états sont vides après une gestion dispendieuse des gouvernants et d’une corruption accrue des administrations. La Banque Mondiale et le FMI exigent des plans d’ajustement structurels pour réalimenter les caisses publiques. Les africains ressentent les mesures de garanties prises par les Instituts financiers internationaux pour préserver le remboursement des dettes extérieurs respectives comme une ingérence dans les affaires intérieures et une perte de leur indépendance.

 Dernière ressource, l’APD (aide publique au développement) perd ses motivations qui consistaient à veiller sur les ressources minières et matériaux stratégiques indispensables à la CEE et enjeu du conflit Est-Ouest lors de l’effondrement de l’URSS et du pacte de Varsovie en 1991. L’APD diminue d’un tiers entre 1991 et 2002. À la mesure de la misère qui s’installe la colère gronde en Afrique. C’est la période où les couloirs des chancelleries africaines répètent « Adieu Bangui, Bonjour Varsovie !»

Le sommet Afrique/UE tenu au Caire en 2000 traduit une réflexion politique plus constructive à l’aube du nouveau millénaire. L’accord de Cotonou (23 juin 2000) dans la capitale économique du Bénin prend le relais de Lomé dès l’entrée en vigueur le 1er avril 2003 pour les deux prochaines décennies. Six objectifs et trois axes de coopération (développement, commerce et politique) caractérisent un accord en meilleure adéquation avec le niveau d’intégration et la qualité des deux partenaires désormais UE et ACP. Les principaux objectifs concernent la réduction de la pauvreté, la souveraineté des États ACP en matière de stratégie relevant de l’économie ou du développement, le dialogue entre acteurs étatiques et non étatiques, le partenariat économique, l’aide conditionnelle, la priorité à la coopération politique. Cette priorité comprend le respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la démocratie basée sur l’État de Droit et une gestion transparente et responsable.

 A-t-on voulu jouer à un de ces jeux gagnant-gagnant où c’est le plus fort qui propose et qui engrange les bénéfices ? La première partie de la compilation des travaux des chercheurs et experts fait ressortir un bilan déséquilibré et l’exercice d’une politique européenne pour l’Afrique. Sept contributions font le point sur les asymétries accumulées, déséquilibres politiques, économiques militaires, échecs des accords et ruine des perspectives, sans oublier le ressenti des populations déshéritées. Une seconde compilation des contributions se concentre sur l’accord de partenariat économique (APE) évalué par six auteurs de la négociation aux applications sous ses principaux aspects, y compris contradictoires ou contre productifs. Le dernier article émanant d’un chercheur de la Faculté des sciences économiques et juridiques de l’Université de Niamey présente une approche numérique de l’APE et des arguments statistiques en fonction des gains et pertes de chaque pays. L’annexe de cette entreprise difficile est riche en tableaux explicites sur les pertes et gains d’exportation dans la communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Comme nombre d’économistes l’auteur décrit à la fin de cette annexe l’usage qu’il fait du modèle WITS/SMART (World Integrated Trade Solution/Single Market at a Time) pour établir ses conclusions. La dernière partie des travaux du colloque de Ouagadougou pose la question de l’existence d’APE plus pertinente et équitable (depuis la définition de l'APE jusqu'au règlement des conflits). Aux cinq contributions qui analysent toutes les étapes de l’accord s’ajoute une communication incontournable situant l’APE dans le contexte de globalisation. Dans le droit fil de l’introduction du Professeur Cerexhe, le rapport de synthèse valide le constat d’échec, mais relève les mesures positives de la réorientation de Cotonou.

Le congrès reflète dans son ensemble la vision des juristes, économistes et diplomates et les auteurs aussi bien africains qu’européens s’expriment en termes édulcorés en présentant sous forme de questions les trois axes principaux des travaux du colloque ; les condamnations n’en restent pas moins sans appel. Le contexte d’un demi-siècle de partenariat UE-CEA a certes évolué de manière défavorable indépendamment des principaux acteurs.

Depuis le haut moyen âge les historiens nous ont appris que battre monnaie et lever une armée sont les deux piliers de la souveraineté nationale, garantie d’intégration comme d’unité d’action. L’U.E. arrivée à 27 pays n’a cessé d’évoluer avec des attitudes diverses sur sa relation avec l’Afrique ; de même les 54 pays du continent africain forment un ensemble disparate difficile à coordonner dans l’UA. Les guerres des deux côtés ont aussi freiné ou entravé les programmes communs.

 L’équivalent de la population des Pays Bas (environ 17 millions de personnes) succombe chaque année dans un contexte de pauvreté ; un quart de ces victimes, essentiellement femmes et enfants meurt des dangers créés par l’environnement, en premier en Afrique subsaharienne. Entre les pays du Maghreb et l’Afrique subsaharienne l’espérance de vie se réduit d’environ 15 ans. Cet ouvrage riche en références et notes en bas de page donne un bon diagnostic à l’heure des Assises du Développement et de la solidarité internationale et du G8 qui vient d’inscrire la transparence dans les échanges financiers internationaux. Il apporte des leçons sur des expériences à ne pas réitérer, des compétences sur une nouvelle programmation et suggère une meilleure simulation pour anticiper les crises et leurs remèdes. Sans doute en faudra-t-il beaucoup pour passer de l’état de pauvreté critique à l’équation exacte du bien-être (p. 289), mais des projets structurants partagés à l’échelle du continent africain favoriseront sans doute l’intégration espérée. C’est peut-être en assurant les premiers vols Toulouse-Casablanca et les premières liaisons Europe-Afrique de l’aéropostale que Saint-Exupéry pensait « Incitez les à construire une tour ensemble et ils seront des frères ».