Travailler au service des forêts tropicales : regards croisés de forestiers

Recension rédigée par Jacques Arrignon


Les Auteurs-coordinateurs :

Jean-Paul Lanly, et Olivier Soulères sont membres de l’Association des Forestiers tropicaux et d’Afrique du Nord (AFT) sous l’égide de laquelle ce livre est publié. Jean-Paul Lanly en fut naguère le Président-fondateur. Les deux auteurs sont forestiers de longue date et de grande expérience tropicale. Ajoutons à cela que Jean-Paul Lanly fut directeur à la FAO de la Division des ressources forestières de 1984 à 1996, d’où les liens tissés avec un certain nombre d’intervenants du présent ouvrage.

À la prospection des contributeurs, il convient d’ajouter la charge de l’organisation du contenu pour lui conférer l’intérêt scientifique et technique d’expériences personnelles couvrant un patchwork de pays très divers.

Les Contributeurs :

On compte 20 auteurs impliqués dans l’édification de l’ouvrage dont deux ont fourni des exemples d’aménagement forestier, l’un en savane, l’autre en Amazonie. Sur les 18 auteurs ayant relaté leur expérience de forestiers au cours de leur carrière, deux relations sont posthumes.

Le contenu :

Sur 295 pages, 56 pages sont consacrées à l’aménagement forestier.

Sous le titre « L’aménagement des brousses tigrées du Niger », Aboubacar Ichaou décrit et caractérise ce type de steppe claire soumis à l’exploitation tant en bois de chauffe qu’en produits annexes utilisés pour l’alimentation du bétail. L’aménagement recommandé par l’auteur consiste en coupes sélectives inspirées des pratiques coutumières des paysans. Il donne des durées de rotation et les cubages annuels par facies. Suivent des données relatives à la régénération, à la lutte contre l’érosion et le parcours des feux et l’établissement de parcellaires. Il conclut en exprimant la nécessité de recourir aux résultats des recherches les plus récentes, en s’appuyant sur une bonne connaissance du terrain et des gens.

Avec « L’aménagement des forêts de Guyane française », Olivier Soulères, considère la grande forêt dense, humide, un pan de l’immense forêt amazonienne où l’exploitation forestière est à peine esquissée, en relation avec des connaissances sylvicoles récentes, une structure administrative, technique et scientifique de qualité, s’agissant de l’ONF, s’appliquant aux 84 000 km2 de ce département français. Par des tableaux très explicites et un texte structuré, il donne un type de document d’aménagement de cette forêt dense.

La seconde partie, forte de 239 pages, est un catalogue d’expériences et de souvenirs émis par 18 forestiers ayant œuvré dans des contrées tropicales aussi bien en Afrique qu’en Asie et en Amérique latine.

On passe ainsi, sous le titre « Forestier des Tropiques : un Noir fou au milieu des Blancs » des tribulations de Ballé Pity agronome et forestier ivoirien, aux souvenirs de Bernard Dufay allant « Du fayard à l’okoumé », de l’inventaire forestier en Côte d’Ivoire, en République Centre-Africaine, à l’exploitation industrielle de l’okoumé au Gabon.

« L’expérience d’un forestier tropical novice et itinérant » conduit Guy Fradin à décrire sa progression dans l’univers forestier de la FAO, d’expert associé, aux passionnantes missions du PAM (Programme Alimentaire Mondial).

Etre forestier mène aussi à devenir écrivain : c’est ce que décrit Moumar Guèye dans : « Forestier spécialiste de la faune devenu écrivain ». Les difficultés relationnelles d’un projet forestier portèrent en effet l’auteur à écrire un Livre blanc, et à attirer ainsi l’attention du Président Senghor.

Dans son article : « D’une jeunesse sur les rives du Fleuve au métier de forestier », Pape Djiby Koné, parle avec émotion du fleuve Sénégal et de sa vallée, en tant que forestier mais aussi de natif, avant de livrer des considérations intéressantes sur les pays qu’il eut à conseiller lors de missions pour le compte de la FAO.

Jean Prosper Koyo relate « l’amélioration génétique et de la sylviculture du limba (Terminalia superba) en République du Congo ».

Jean-Paul Lanly décrit les heurs et malheurs du PAFT (« La saga du plan d’action forestier tropical ») issu des travaux du Département des Forêts de la FAO, opposant les pays industrialisés aux pays en développement, les « développeurs » aux protecteurs de la nature.

« Premiers pas d’un jeune forestier tropical au Congo » amène Claude Lebahy à faire part de ses premières expériences de la sylviculture de l’eucalyptus au tout début de sa vie professionnelle.

Michel Malagnoux, sous le titre : « Recherche en entomologie et pathologie forestières en Côte d’Ivoire » rend compte de ses travaux sur l’attaque des bourgeons d’acajou par la pyrale et d’un curieux procès révélant l’humour des paysans ivoiriens.

Jorge Malleux, franco-péruvien, livre ses souvenirs d’enseignant forestier « Cinquante ans d’éducation forestière au Pérou et en Amérique Latine » et les défis que doit affronter l’enseignement forestier en Amérique latine.

Le titre « Quelques morceaux choisis d’une carrière de Forestier : de la formation à l’exercice de la profession » résume bien le contenu de l’article de Raphaël Njoukam agronome et forestier Camerounais.

« Souvenirs de mes premières années d’Indochine » de Bernard Rollet, fera probablement entrer le lecteur dans une saine alacrité « forestière ».

« Le parcours d’un forestier, (Dan Rugabira)du pays des mille collines à l’Aventino, une des sept collines de la cité éternelle (Rome) ». L’auteur, Rwandais, donne le détail de son cursus professionnel aboutissant au truculent procès de Nairobi, qui met le lecteur en joie.

Ce sont des pages alliant poésie et souvenirs personnels que El Hadji Séne offre au lecteur de l’article posthume intitulé « L’homme qui parlait aux arbres de sa terre », s’agissant des dunes et de la savane du Sénégal, et d’autres contrées où la FAO l’a conduit.

« Dans l’urgence au Cambodge », Thirong Patrick So traite de la réinstallation des réfugiés dans des zones où l’action forestière est rendue dangereuse et compliquée par la présence de mines rémanentes.

Avec « Cinq années inoubliables … Zoreille forestier à La Réunion », Olivier Soulères parle du cas très original de cette Ile où le forestier détient des pouvoirs plus importants, divers, voire inattendus, qu’ailleurs.

Dans son évocation, Bernard Vannière explique : « Comment j’ai été amené à m’occuper d’aménagement de la forêt tropicale ombrophile » au fil de ses séjours au Venezuela et au Gabon.

Enfin, grâce à Jean Werquin, le lecteur apprendra sous quels auspices a été créée l’Inspection Générale des Chasses coloniales françaises, avec l’étonnante figure de son chef, le colonel Pierre-Louis Bourgoin, grand chasseur, mais aussi héros de la Deuxième Guerre mondiale : le titre de sa présentation « Il est dangereux de se pencher au dehors » ne les suggère pas, mais annonce l’humour du propos.

Au total, un panoramique assez complet de ce que fut, de ce qu’est encore, la foresterie en ambiance tropicale de par le monde grâce à l’initiative de l’Association des Forestiers Tropicaux et d’Afrique du Nord dont le premier ouvrage, avec les mêmes « Regards croisés », avait donné une vision de la foresterie au Maghreb.

On peut faire son choix dans les souvenirs livrés, mais tous sont courts, agréables, voire très plaisants à lire, même pour des non spécialistes.