Sénégal de mémoire : portraits, itinéraires & rencontres région par région (1966-1981)

Recension rédigée par Jean-Loup Vivier


Philippe David est notre confrère de l'Académie, bien sûr, mais pour beaucoup d'entre nous il est aussi un frère. A plusieurs reprises il avoue son bonheur d'être au Sénégal, de parcourir la brousse sénégalaise. Il est évident que, nombreux, nous avons éprouvé cette indicible joie de découvrir outre-mer la différence, mais aussi d'aimer les rapprochements, d'apporter une compétence, e en retour d'apprendre d'autres cultures qui sont autant de facettes de la riche humanité.

L'auteur nous livre ses souvenirs, écrits au jour le jour et peu retouchés; de son séjour au Sénégal entre 1966 et 1977, où il dirigea le centre de formation des fonctionnaires du cadre B. Ses fonctions l'ont conduit à sillonner le pays, et nous le suivons au cours de ses rencontres avec les régions, les villes, mais surtout les gens. Il y a bien sûr ses amis sénégalais, au premier rang desquels il faut sans doute mettre Lamine Danfakha, avec lequel il était lié depuis 1954. Danfakha présente l'originalité d'avoir été député avant d'intégrer comme élève le centre de formation dirigé par l'auteur. Les personnes que croise l'auteur sont bien sûr très diverses: missionnaires, politiciens et fonctionnaires du pays, coopérants de diverses nationalités, dont font partie les VSN qui assistent l'auteur, membres du Peace Corps, voire touristes. Ses visites au khalife des Mourides sont à l'évidence un passage obligé du coopérant européen en vue.

Outre ces rencontres avec des personnages qui bien sûr entrent dans l'oubli, l'auteur nous fait partager ses observations sur des sujets qui vont de la traite de l'arachide à la crise universitaire de 1968, en passant par le désoeuvrement des fonctionnaires affectés en brousse - surtout le dimanche, et par le système du parti unique qui lui semble présenter le mérite d'éviter aux ambitieux de se déchirer alors qu'il y a mieux à faire pour le développement du pays. L'habitude des jeunes Mandingues de Casamance de se déguiser le 1er janvier et d'aller en groupe, de maison en maison, recueillir une aumône, évoque irrésistiblement le halloween anglo-saxon.

La coopération a changé de visage. Les modernes coopérants, par ailleurs bien moins nombreux que dans les années 60 et 70, n'accepteraient pas les conditions spartiates dans lesquelles évoluait Philippe David pour son plus grand bonheur et qui sont le prix à payer pour connaître les habitants du pays : virées dans des voitures sans confort, voire en train ou en taxi-brousse, consommation des plats locaux, hébergement chez tel fonctionnaire ou dans des campements au confort rudimentaire, dont le pire était situé à 50 mètres de l'abattoir! A aucun moment il n'est bien sûr question de climatisation. Mais Philippe David avait choisi cette existence, comme tous les élèves de l'ENFOM. Il avait fréquenté cette prestigieuse école dans la section "magistrature".

Le don de l'auteur que nous lui envions le plus est celui des langues. Voilà un magistrat d'outre-mer qui pratique le wolof, lepoular et lemalinké, un peu aussi le socé. D'ailleurs, le texte du livre est truffé d'expressions ou de mots wolof ou malinké que l'auteur estime illustratifs, ou de phrases en wolof qu'échangent les personnages. Bizarrement -nous insistons sur cet adverbe- ses interlocuteurs africains comprennent mal qu'un Européen non missionnaire s'attache à apprendre les langues locales. L'auteur peut affirmer sans faire sourire "Je me voudrais chaque fois davantage africain parmi les Africains" (p. 147). Ce rêve est pafois brisé, comme lorsque l'auteur est impliqué dans un accident de la route : "personne ne nous connaît, nous sommes probablement considérés comme des Toubabs riches et sans coeur" (p. 114).

Puisqu'il faut émettre des critiques, nous en avons trouvé trois. D'abord l'absence de carte du Sénégal gêne le lecteur qui désire suivre les pérégrinations de l'auteur et qui n'est pas suffisamment familier de ce pays. Puis, des traits d'union oubliés témoignent d'une mise en page antérieure. Enfin, le choix de l'auteur est, au lieu de dérouler l'ensemble de ses souvenirs de manière chronologique,  de répartir ses souvenirs entre des chapitres consacrés chacun à une région. C'est son choix, nous aurions pour notre part préféré le suivre d'une région à l'autre sans coupure.