Le roi Farouk : un destin foudroyé

Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


L’historienne Caroline Kurhan a indubitablement un tropisme égyptien. Ses 15 ans passés en Égypte comme Directrice du département Patrimoine culturel de l’université Senghor d’Alexandrie, la publication de sept ouvrages sur l’Égypte, en font une spécialiste reconnue de ce pays. L’ouvrage dont nous faisons la recension aujourd’hui est une réédition de son livre paru en 2013.

Les liens familiaux et privilégiés qu’elle entretient avec la famille royale sont vraisemblablement une explication qui lui ont permis de s’intéresser au roi Farouk, et d’une façon plus large, à l’Égypte pré nassérienne. Au dire même de l’auteur, le but principal de cette biographie est la réhabilitation d’un monarque qui fut bien souvent caricaturé, surtout après ses comportements peu compatibles avec sa fonction dans la seconde partie de son règne.

Comme l’écrit Caroline Kurhan au début de son ouvrage : « On ne peut prétendre écrire une biographie du roi Farouk si on n’analyse pas la nature de ce qui divise les différentes branches car l’unité perdue de sa famille a contribué également à sa chute ». D’ailleurs plus du tiers de ce livre (jusqu’à la page 80) y est effectivement consacré. Mais l’auteur ne se limite pas à relater les bisbilles entre membres d’une famille royale, ce qui n’est somme toute pas très original. Avec en toile de fond ces intrigues de pouvoir, nous découvrons les enjeux géopolitiques comme on le dirait aujourd’hui, dont les principaux acteurs étaient les Ottomans, les Anglais, les Français et …l’islam. L’influence prédominante de l’Angleterre est relatée en détail, avec un a priori affiché consistant à rendre la Grande-Bretagne responsable des nombreux maux qui affectent l’Égypte, dont celui de diviser (les autochtones) pour mieux régner. Mais nul Empire au monde ne s’est jamais dispensé de ce stratagème qui a au demeurant prouvé son efficacité, qu’il soit français, belge, hollandais ou portugais. En revanche, le parti pris pro français, ces éternels seconds dans leur compétition avec son principal concurrent est indéniable. Les passages relatant la visite de hauts dignitaires comme le général Catroux ou le général De Gaulle en attestent d’ailleurs.

Mais revenons au sujet principal de cette biographie. Après de longs développements sur le roi Fouad et sur les partis politiques qui constituaient l’environnement politique du pays entre 1838 et 1936, nous pénétrons dans l’intimité du futur roi Farouk, dans ses relations avec sa famille, ses rares amis, ses passions et ses études. Il vécut une enfance assez austère, entouré de deux précepteurs omniprésents, mais aux tempéraments opposés, jusqu’à la disparition de son père. Farouk n’a alors que 16 ans et il est fait appel à un conseil de régence pendant lequel les Britanniques se mettront en condition de protéger les routes impériales grâce au traité anglo-égyptien du 26 aout 1936.

Une fois devenu roi, Farouk « laisse percer son intention de libérer son pays du joug anglais ». Le jeune monarque qui parle couramment l’arabe, prendra une égyptienne pour épouse et se révélera être confit en dévotion, au point d’être surnommé « Farouk le pieux ». Cependant, il n’est pas sectaire et n’impose pas la pratique de l’islam à son entourage. Au plan politique, il dut faire preuve de souplesse et de convictions à la fois pour éloigner le WAFD plutôt proche des Britanniques et pour se rapprocher de nouveaux partis comme les Frères musulmans et le parti Jeune Égypte. Malgré cet exercice de funambulisme permanent, il se fit bâtisseur et fut surnommé « Farouk le roi des chantiers ».

La seconde guerre mondiale va constituer pour le roi Farouk un nouveau défi à relever. Comment maintenir l’intégrité de son pays occupé par les troupes anglaise et menacé par les Italiens colonisateurs de la Libye et les Allemands commandés par Rommel ? Si comme la plupart des Égyptiens, leur souverain était majoritairement favorable aux Nazis, et pensait la victoire de l’Allemagne plus que probable, il devra manœuvrer afin de sortir de cette période troublée, sans conséquence négative pour l’Égypte ; un peu comme l’avait fait le Général Franco en Espagne à la même période.

En plein conflit, le roi fut victime en 1943, d’un grave accident alors qu’il conduisait la Mercédès que lui avait offerte Adolf Hitler. Existe-t-il un lien de causalité entre cet événement fâcheux et le changement de comportement du souverain ? D’aucuns soutiennent cette thèse ; tant est si bien que Farouk devint pusillanime, perdit tout enthousiasme et entama une mue qui débute avec l’apparition du danger communiste et s’acheva lors du coup d’État des « Officiers libres ». Entre temps, l’Égypte si ouverte au monde occidental pendant la première partie du règne de Farouk, se radicalisa et le Caire deviendra l’épicentre des revendications du monde arabe au sens large. Le temps des ruptures était venu : son divorce avec la reine Farida, ses frasques finirent par le déconsidérer aux yeux de ses compatriotes. De surcroit, la guerre de 1948 contre Israël vit, après des succès initiaux, la déroute de l’armée égyptienne, malgré la défense de Falluja par un certain Nasser. C’est d’ailleurs son mouvement qui donna le coup de grâce à la royauté le 22 juillet 1952.

Dès lors, exilé en Italie, l’ex roi Farouk continuera à mener une vie de débauche en potentat oriental. Son règne qui avait pourtant bien débuté s’achevait par un désastre, dû en partie à l’altération de ses jugements après son accident de voiture et également à la montée en puissance du sentiment panarabe, à l’émergence de mouvements islamistes et aux tensions inhérentes à la guerre froide.

Caroline Kurhan aura incontestablement fait œuvre utile en nous livrant cette biographie à décharge du dernier roi d’Égypte.

Son livre se lit comme un roman, alors qu’il s’agit d’une histoire tragique d’un homme confronté aux vents du changement, à une période de sa vie où il n’était plus en mesure d’imprimer sa marque dans la tête de ses sujets.