Le Moyen-Orient au défi du chaos : un demi-siècle d'échecs et d'espoirs

Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


L’originalité de cet ouvrage tient en grande partie à la personnalité et au parcours même de son auteur, ainsi qu’à son implication de plus de cinquante ans dans les affaires du Moyen-Orient. Désireux dès le début de sa carrière d’embrasser le vaste monde, cet énarque affecté au ministère de l’Économie et des Finances en 1964 choisit la proposition qui lui fut faite : un poste à Beyrouth avec compétence pour le Moyen-Orient au sens large. Depuis ce jour, il ne cessera de s’intéresser à cette partie du monde sans cesse en effervescence en tant que financier, diplomate, de terrain dans un premier temps, Directeur de sa zone géographique au Quai d’Orsay, puis de l’Institut du monde arabe et enfin chercheur auprès de l’Agence Française de Développement et à l’Institut des Relations Internationales à Paris.

Dans ce livre, nous pouvons distinguer trois périodes. La première qui s’étend du premier au quatrième chapitre relate le quotidien du diplomate de terrain, mêlant anecdotes, rencontres avec les personnalités locales et analyses sur l’évolution des pays du Moyen-Orient. Somme toute, un rôle traditionnel pour son statut, mis à part le fait que contrairement à la majorité de ses homologues, il préfèrera demeurer dans sa zone géographique de prédilection, plutôt que de changer de continent et de problématiques.

C’est d’ailleurs dans cette seconde période (chapitres 4 et 5) que sa passion pour cette partie du monde le mènera à occuper des postes de haut fonctionnaire en Métropole ; de la Direction Afrique du Nord-Moyen-Orient (ANMO) qu’il occupera de 1993 à 1997, au poste de Directeur de cabinet de Hervé de Charrette, alors ministre des Affaires étrangères et enfin à la Présidence de l’Institut du Monde Arabe (IMA) de 2002 à 2004. C’est pendant ces années que Denis Bauchard passe d’une diplomatie de terrain à celle d’un diplomate ayant une vue plus globale de la région et des implications multiples des équilibres du monde. Ses nombreuses missions à l’étranger viendront nourrir et compléter son analyse de l’imbroglio régional et de ses implications internationales.

C’est d’ailleurs grâce à sa connaissance du terrain et des hommes, qu’ils soient simples citoyens ou officiels qu’il accèdera à la présidence de l’IMA, où ses talents ne seront pas de trop pour désamorcer des situations parfois délicates.

Le troisième volet de cette longue carrière, nous ne dirons pas la plus intéressante, mais celle où le diplomate devient aussi technicien et expert, est traitée dans les chapitres 6 à 10. En occupant des postes stratégiques au sein de ces deux institutions, Denis Bauchard conseillera donc Jean Severino sur les questions de développement et il entrera dans le domaine de la recherche, l’analyse et la prévision auprès de Thierry de Montbrial. C’est surtout dans cette dernière fonction que ses constats, analyses et réflexions sur cette partie du monde et le rôle de la France donneront du corps à cet ouvrage qui combine géopolitique, diplomatie et économie.

Si l’auteur reprend à son compte la critique classique de la politique classique des anglo-saxons en ce qui concerne le Moyen-Orient, une constante au Quai d’Orsay depuis la période gaullienne (chapitre 6), il ne manque pas de noter la rupture dans la doctrine de la France en 2007 (chapitre 9).

Denis Bauchard tire le bilan de ces vingt dernières années tant en ce qui concerne la montée (prévisible) des périls entre 2003 et 2010, que l’espoir suscité par les printemps arabes puis leur échec (2010-2021). Il ne peut que constater la volatilité de la situation qui prévaut dans cette zone géographique, tant en termes de démocratie, développement, d’émergence des acteurs non étatiques, d’affirmation des sociétés civiles, de la multiplication des « États faillis », de la menace terroriste persistante et multiforme et de la consolidation de l’État d’Israël.

Tout cela ne conduit pas l’auteur à un optimisme débordant.  C’est sans doute la raison pour laquelle l’auteur envisage trois scenarii, sans toutefois n’en privilégier aucun.

Quant au rôle de la France, il ne peut constater ce que bien d’autres avant lui, dont le Président Valery Giscard d’Estaing qui avait pressenti il y a plus de quarante ans : à savoir, que la France n’est plus la grande puissance qu’elle était. Pour être un acteur majeur sur la scène internationale, il faut bien veiller à l’adéquation entre ses moyens et ses ambitions. Etre une puissance moyenne ne rime pas systématiquement avec immobilisme et inefficacité. La voix de la France continue à porter, mais moins qu’il y a un demi-siècle. Pour peser un tant soit peu sur les destinées de certaines parties du monde, elle doit s’y prendre autrement que les États-Unis, la Chine ou la Russie.  Au Moyen-Orient, l’influence de la France est battue en brèche par d’autres puissances, tant régionales que mondiales. Il lui reste le rôle d’« Honest Broker », ou d’un « Monsieur bons offices » grâce à sa politique arabe traditionnelle et dans une moindre mesure au « Soft Power » qu’elle projette encore.

Dans cette fresque du Moyen-Orient, à la faveur de ses cinquante ans de connaissance de cette vaste et complexe région, Denis Bauchard, réussit le tour de force de nous éclairer de façon claire et intelligible, avec la riche expérience qui est la sienne, sur une question géopolitique majeure dont l’action se déroule à nos portes.